Chapitre 1: Contenu et idéologie
La raison d'être des manuels de confession
Aux premières époques de l'Église la confession était
administrée seulement dans des circonstances extraordinaires, ou
en cas de grandes crises spirituelles. Lors des changements dans
la vie religieuse du début du 13e siècle, la confession devint un
sacrement à être reçu annuellement. Ceci fut légiféré durant le 4e
concile du Latran, sous le pontificat d'Innocent III; le canon Omnis utriusque sexus ordonna à tous les croyants de confesser
leurs péchés au moins une fois par année, à partir de l'âge de
raison, le sacrement étant administré par des prêtres ayant la
charge des âmes dans la diocèse, ou par quelque autre prêtre,
moyennant une permission spéciale.
L'accroissement du nombre de gens devant recevoir le
sacrement de pénitence créa le besoin de prêtres capables
d'accomplir cette tâche; le confesseur devait pouvoir(1)
"...accueillir le pénitent et établir avec lui des
rapports humains qui soient un véritable contact et
non pas simplement une rencontre de hasard toute
superficielle; il l'aidera ensuite à examiner sa
conscience pour déterminer les fautes qu'il a
commises et le degré de gravité qu'elles revêtent en
fonction du coupable lui-même et de son
tempérament [...] le confesseur devra suggérer ou
prescrire le moyen d'éviter des nouvelles fautes, et
pour celles dont il vient d'apprendre qu'elles furent
commises imposer la satisfaction convenable..."
Afin d'instruire les prêtres pour l'accomplissement de cette
tâche, depuis le début du 13e siècle commencent à apparaître des
manuels pratiques, dans le but d'enseigner l'art de confesser à
ceux en charge du salut des fidèles; c'est à dire, l'art de poser les
questions appropriées afin de recenser tous les péchés et aider le
pénitent à se rappeler toutes ses actions. De cette manière le
confesseur pouvait déterminer quelles actions étaient des péchés
afin de donner l'absolution. Une confession bien faite était une
source d'amélioration spirituelle du pénitent et une préparation
pour la vie éternelle.
Entre le 13e et le 15e siècles de nombreux manuels furent
écrits; après avoir connu une grande diffusion, ce genre littéraire
devint désuet à la fin du 15e siècle, et il disparut durant le 16e.
Telle fut la carrière de l'important manuel de confession d'El
Tostado: composé durant la première moitié du 15e siècle, il
connut plusieurs éditions en langue castillane jusqu'en 1550; il
n'a jamais été publié depuis cette année.
Alors que ces manuels sont habituellement composés en
latin, on constate que les manuels de confession en langue
vernaculaire sont presque toujours des traductions ou des
imitations des originaux latins.
Ce mémoire essaie d'établir le corpus des manuels de
confession médiévaux en langue castillane et veut faire connaître
un manuel non étudié ni publié auparavant: Cómmo el confessor de Pedro Gómez-Alvarez de Albornoz Barroso, archevêque de
Séville (1321-1374).
Les manuels latins
Dans les sources médiévales les manuels de confession sont
souvent appelés des Summae confessorum. La plupart sont des
courts opuscules; des aide-mémoire pour préparer l'acte de la
confession. Il existe néanmoins quelques manuels d'une grande
longueur, pleins d'éléments casuistiques et juridiques. Il existe
aussi des traités de pastorale générale qui mettent l'accent sur la
confession, tel le Manipulus curatorum de Guido de Monte
Rocherii, mais dans le cadre de la recherche pour ce mémoire on
n'en a trouvé aucun en castillan.
Quelques auteurs du 13e siècle souvent appellent les
manuels de confession des "pénitentiels", terme trompeur, car les
pénitentiels sont en réalité des barèmes qui donnent une liste des
péchés et les pénitences à imposer -habituellement très dures- et
ne laissent presque aucune initiative au prêtre. L'approche des
manuels de confession est différente: leur but est de guider le
confesseur dans l'art difficile de comprendre et de guider le
pénitent.
Entre 1300 et 1500 il y a eu différentes approches et
différents styles de rédaction des manuels, ce qui fit devenir
désuète quelques-uns des premiers écrits de ce genre, telle la Summa de casibus poenitenciae de Raymond de Penyafort; cette Summa ne fut jamais traduite en castillan, car elle était devenue
désuète à la fin du 14e siècle, quand les manuels en langue
vernaculaire commencent à apparaître.
Les manuels de confession sont destinés surtout aux prêtres,
mais quelques-uns peuvent aussi aider les fidèles à préparer une
bonne confession. Dans les incunables qui nous sont parvenus, ce
type de manuel est souvent relié avec un art de bien mourir; tel
est le cas du Arte de bien morir y Confesionario breve(2), lequel
enseigne comment préparer une bonne confession et donne de
nombreuses recommandations pour le salut de l'âme.
Les caractéristiques des manuels en castillan
Les manuels de confession en langue castillane ressemblent
à ceux en latin, dont ils sont souvent des traductions, leur
principale différence étant que ces derniers mentionnent des
situations typiques de l'Espagne de l'époque. D'habitude ils sont
organisés en chapitres qui traitent des sept péchés mortels, des
sept vertus, des quatorze oeuvres de miséricorde, etc., et chaque
chapitre est divisé en sections traitant des cas particuliers. Par
exemple, un chapitre sur les commandements peut être constitué
d'une introduction générale suivie de dix sections, chacune
traitant des péchés qui les concernent.
Les types de péché dont on parle le plus souvent et le plus en
détail sont ceux qui ont rapport avec la simonie ou avec les actes
sexuels(3);
"Un reproche a parfois été fait aux oeuvres
pénitentielles, celui de s'attarder et d'insister avec
complaisance sur les fautes sexuelles. Les passages
qui y sont consacrés sont en effet assez étendus
dans certaines oeuvres, mais, quand on compare la
place qui leur est faite avec celle qu'occupent les
fautes contre la justice, ou les péchés qui
interviennent dans l'émission et l'accomplissement
d'un voeu ou d'un serment, on a l'impression que le
traitement de ces diverses catégories de
transgressions est proportionnel à leur importance
et à leur complexité. Ce qui peut éventuellement
choquer le lecteur moderne est la crudité des
expressions, on pourrait aussi bien dire leur
caractère simple et direct; nous y voyons surtout
un problème de sociologie du langage: quelles sont
les limites de la pudeur imposées à une époque et
dans un milieu donné à la désignation des actes en
cause? La prudence que tous les auteurs rappellent
devoir présider aux interrogatoires du pénitent sur
ce sujet indique qu'eux mêmes étaient parfaitement
conscients des dangers présentés par un usage
mauvais et inconsidéré des connaissances qui
étaient nécessaires au confesseur."
L'intérêt de ce genre littéraire
Les manuels de confession permettent au lecteur
contemporain de s'approcher d'une forme de penser très différente
de celle d'aujourd'hui; l'histoire des moeurs bénéficie d'une étude
de ces manuels, car ils fournissent un catalogue des
comportements considérés déviants par la mentalité médiévale.
Les manuels écrits en langue vernaculaire sont adressés à un
public restreint du point de vue géographique; leur étude permet
donc de connaître certaines coutumes et croyances régionales.
Quelques-unes des caractéristiques de l'évolution de l'Église
espagnole se reflètent dans ces manuels, surtout au niveau de
l'instruction pastorale et du contact quotidien entre les prêtres et
les fidèles, plutôt qu'au niveau purement théologique. Ces
manuels permettent de percevoir l'évolution de quelques concepts
juridiques et quelques règles de comportement social entre les
trois groupes qui demeuraient dans la Péninsule: les Chrétiens,
les Juifs et les Musulmans.
Parfois, les manuels fournissent des données
anthropologiques: ils mentionnent différents comportements
considérés acceptables et inacceptables(4), décrivent des péchés en
fonction de la situation sociale des pénitents, et fournissent des
listes des strates de la société et des métiers.
Conclusion
Il existe déjà de nombreuses monographies qui traitent des
manuels de confession(5) mais elles portent presque exclusivement
sur les manuels en latin. Ce mémoire, par contre, concerne les
manuels en castillan, établit le corpus de ceux connus à ce jour,
décrit leur contenu et repère leurs caractéristiques spécifiques.
L'édition du manuel Cómmo el confessor, de Pedro Gómez de
Albornoz, jusqu'ici jamais publié, sera d'intérêt pour les
hispanisants ainsi que pour ceux qui s'intéressent à l'histoire du
christianisme en Espagne.
1. Pierre Michaud-Quantin. Sommes de casuistique et manuels de
confession au Moyen Age, 8.
2. Gesamtkatalog der Wiegendrucke, 2593.
3. Pierre Michaud-Quantin. Sommes de casuistique et manuels de
confession au Moyen Age, 108-109.
4. Voir, par exemple, le commentaire sur les moeurs à table mentionné
dans la section "Del gustar digo" du manuel Cómmo el confessor de Pedro
Gómez de Albornoz, édité dans ce mémoire.
5. Pour une introduction au sujet, voir:
McNeil, John T. and Helena M. Gamer. Medieval Books of Penance.
Michaud-Quantin, Pierre. Sommes de casuistique et manuels de
confession au Moyen Age.
Borobio, Dionisio. La doctrina penitencial en el Liber orationum
psalmographus.
Braeckman, Louis, S.J. Confession et communion au Moyen Age et au
concile de Trente.
Braswell, Mary Flowers. The Medieval Sinner. Collins, Mary et David
Powers (éds.) The Fate of Confession.
Pour le point de vue juridique voir:
Groupe de la Bussière. Pratiques de la confession. Des pères du désert au
Vatican II.
Lea, Henry Charles. A History of Auricular Confession and Indulgences in
the Latin Church.
Noonan, John T., Jr. Contraception. A History of its Treatment by the
Catholic Theologians and Canonists.
Palmer, Paul F. (éd.) Sacraments and Forgiveness: Sources of Christian
Theology.
Teetaert, P. Amédée, Ord. Cap. La confession aux la"iques dans l'Eglise
latine depuis le VIIIe jusqu'au XIV siècle. Etude de théologie positive.
Tentler, Thomas N. Sin and Confession in the Eve of Reformation.
Tentler, Thomas N. "The Summa for Confessors as an Instrument of Social
Control".
Pour la situation spécifiquement espagnole, voir:
García y García, Antonio. "La canonística ibérica medieval posterior al
Decreto de Graciano".
García y García, Antonio. Iglesia, sociedad y derecho.
García y García, Antonio. "Obras de derecho común medieval en
castellano".
Soto Rábanos, José María. "Derecho canónico y praxis pastoral en la
España bajomedieval".
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